LITTÉRATURE ET GUIDONNAGE – RAD#3

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Ed McBain, Leçons de conduite

Quand on a comme moi, l’insigne avantage d’avoir à sévir dans une revue qui regarde vers le passé, on peut se permettre de snober l’actualité fusse-t-elle, littéraire. Si tu es, ami motard, friand de bottes Lewis « hors d’âge », de vieux Belstaffs blanchis sous le harnais, tu aurais de toute façon, mauvaise grâce à me reprocher mon manque, certes momentané mais avéré, de curiosité pour les sorties du moment. Deux auteurs «classiques» donc, au menu de ce troisième numéro de RAD. L’un est mort, Ed Mac Bain, l’autre y pense, Elmore Léonard. Si tu es en Bretagne et que l’automne frappe déjà à ta porte, tu ne resteras pas insensible à la prose du regretté Ed qui comme son pseudo l’indique, est italien d’origine. Te devinant un peu facilement débordé par les sardines qui agonisent sur ton barbecue et le Muscadet qui ne doit pas rester trop longtemps au congelo, je te prescris un petit roman qui se lit en une heure. Auteur prolifique avec 55 romans écrits sous de multiples identités, Mac Bain a plusieurs vertus.
D’abord, il a beaucoup écrit sur New-York (Isola dans ses romans) et ses interminables banlieues. Il nous y trousse des intrigues subtiles, sophistiquées, avec une profondeur de champ et des changements d’angle franchement novateurs, dès le début des années 50. Les flics y ont des familles (oui je sais, j’ai été surpris au début) et on quitte, beaucoup grâce à lui, l’univers un peu standardisé de la « detective novel ». La psychologie y a droit de cité (je vous rassure, c’est pas Higgins Clark et y a un peu de sang sur les murs)…. On y découvre en outre, décrite avec minutie, la vie des commissariats new-yorkais et en prime, nous avons droit à de fascinantes descriptions des «bas-fonds»….Ah, les bas-fonds ! La médecine légale, le déroulé minutieux des enquêtes, sont des ingrédients très présents dans ses bouquins, avec une modernité qui vaut bien celle dont les séries nous abreuve aujourd’hui. L’homme est cultivé. Ca se voit, c’est bien écrit. L’homme est un optimiste tempéré, un humaniste. Ca se sent et ça fait du bien. Le petit bouquin aux incontestables vertus apéritives, s’intitule donc, « Leçons de conduite ». Il est paru chez « Rivages/Noir » en 2001 et… ne se passe pas à New-York ! Il n’y a donc pas Carella et son immortel 87ème district. L’on trouve en revanche, dans cette petite ville proprette et banale, une impeccable atmosphère « Nouvelle Angleterre automnale ». C’est un roman d’ambiance, pas son meilleur peut-être, mais Eddy (je risque quoi ?) n’a pas son pareil pour vous installer dans un lieu, dans une intrigue, même mineure, et ça j’adore ! Ca sent le feu de bois et le 12 ans d’âge (juste un doigt et sans glaçon, merci). Ce style simple et évocateur, comme aurait dit Pivot au sommet de sa forme, est un vrai régal

Elmore Leonard, Les fantômes de Detroit

Fantomesdetroit  Elmore Léonard quand à lui, est à 87 balais, toujours sur la brèche. Il a en commun avec Mac Bain, d’être un auteur prolifique adapté au cinéma ainsi qu’un très grand scénariste. Il est de plus, un auteur de Western pour les magazines populaires, les fameux pulps, genre qui n’a pas connu de ce côté ci de l’Atlantique, le même succès. Styliste éblouissant, à la syntaxe approximative (m’en fous, je le lis en français) il a d’ailleurs consacré un essai à sa propre stylistique. Je vous conseille d’autant plus volontiers que je ne l’ai pas lu, vous m’en parlerez donc à l’occasion. C’est surtout un portraitiste brillant, très documenté, acerbe, concis, comme l’Ed précité, il va vite et sait être drôle. Il a notamment consacré une série de romans à Détroit, la ville maudite, symbole d’une Amérique ouvrière déclassée. L’on y trouve de la politique, des flics, (logique en somme) mais aussi du Rock et des terroristes ! « Les fantômes de Détroit » puisque c’est de lui qu’il s’agit, date un peu. Parution en 1988 mais réédition en 2006 chez Rivages/Noir (une fois encore). L’environnement et les références ont donc un peu vieilli, mais pas l’écriture alerte et enlevée (je sais, je me répète) non plus que l’intrigue bien troussée.